Il faut aimer Brassens (comme moi je l’aimais) pour avoir le courage de lire mon billet !!!
Il y a 100 ans, le 22 octobre 1921, naissait le chanteur et poète Georges Brassens à Sète, dans l’Hérault. La même ville où il est enterré depuis près de 40 ans. L’Auvergnat, Les copains d’abord… ses chansons ont traversé les décennies et sont toujours écoutées…….
Dans une impasse Florimont qui fleure la misère, l’anarchiste calque ses jours sur la révolution de la Terre autour du soleil, levé dès potron-minet, couché avec les ténèbres. L’arche de Noé recueille les animaux sans compagnie, chiens errants, chats miteux, volatiles battant de l’aile. On y brûlait le pont pendant la guerre, mais dans ce cul-de-sac mal rapiécé, Georges Brassens a trouvé sa voie. La Jeanne

, elle, illumine cette cité miséricordieuse. »Gros bidon » Brassens, avide de sobriquets, la surnomme ainsi pour sa manie de remplir sa bedaine des enfants de l’univers…. Gros bidon, dis-je, avoue un penchant pour l’humanité. (Marcel, son homme, pour la bouteille).
Elle accueille Jo depuis 1944, alors qu’il cherchait à faire rimer poète avec cachette dans l’ombre de la kommandantur. Il vivra plus de vingt ans au sein d’un ménage à trois. Son charme opère sur celle à qui on obtempère. Une vie de bohème hors du temps à dévorer les grands poètes et penseurs à défaut de remplir sa panse. Un matin, Brassens ouvre des persiennes martyrisées sur un Paris libéré. Peu avant, Jeanne avait perdu son frère, résistant arrêté par la Gestapo et décapité à la hache ! »Mourir pour des idées » lui sera dédié.!
Jusqu’en 1952, Brassens broie notoirement du noir. Il écrit à André Toussenot, son ami philosophe anarchiste, alias Huon de la Saône par référence à Nerval : » Il n’y a pas de malade à l’impasse, mais un neurasthénique, moi. Cette maladie de l’âme me charme. Je ne crois pas au revolver, cependant. Ni à la corde, ni au poison… ». Poèmes et romans se font rabrouer. Quant aux auditions, elles sont gentiment louées… aux gémonies. (= accabler quelqu’un ; faire de violents reproches ; humilier publiquement ; livrer quelqu’un au mépris public ; couvrir de honte ; condamner publiquement ; souhaiter le pire à quelqu’un ; outrager publiquement ; accabler de mépris ; condamner)
Sa guitare aux cordes chevrotantes sous le bras, il »cahin-cahote » pétrifié par le trac, suant de caveaux en cabarets. L’interprète aurait préféré se faire grossiste de chansons pour détaillants vedettes, qu’il trouvait bien plus autorisés à écouler ses vers. Une ultime audition, le 24 janvier 1952, décrochée par ses copains sétois de Paris Match, Roger Thérond et Victor Laville, le fait rencontrer une sirène blonde à la voix rauque et élégante, Patachou

.
Née Henriette Ragon trois ans avant lui, Patachou doit son sobriquet, non à Brassens, mais à une brève carrière de pâtissière en province et à son restaurant-pâtisserie-cabaret montmartrois. Son registre »parigot gouailleur » a d’abord fait le bonheur des bouges voisins sous le nom de Lady Patachou avant que le sien devienne le cabaret incontournable de la nuit parisienne.
Elle y coupait sans vergogne les cravates de célébrités ou anonymes et accrochait les trophées au plafond, laissant les »circoncis du col » suspendus à ses lèvres.
Le bizut se lance dans son audition sous le regard intrigué de Patachou. Quelques titres plus tard, elle est conquise et lui offre son public.
Brassens lui suggère plutôt d’interpréter elle-même ses chansons. Le premier soir, elle »se frotte » à »Brave Margot et aux Amoureux des bancs publics » puis demande à son public d’en découvrir l’auteur ! Une guitare à deux pattes sort du rideau chancelant et entonne Le Gorille et P. de toi, que la mieux embouchée Patachou ne pouvait interpréter.
La dernière note envolée, le public, jusqu’ici rompu aux chansonnettes, découvrait »un cactus en fleur » sous une peau d’auroch, assénant à langue raccourcie des diatribes d’un autre temps. Aussi intimidant qu’intimidé, Brassens depuis lors attise la curiosité. Le directeur du théâtre des Trois baudets, Jacques Canetti

, invité à venir l’écouter, le trouve épatant et va exhorter à toutes jambes la firme phonographique Philips de faire signer au »pornographe » un contrat en or massif.
Affligé de voir un Brassens aussi mal à l’aise sur scène, le contrebassiste dans l’orchestre du cabaret propose spontanément de l’accompagner. Le duo rondement amorcé, Pierre Nicolas ne se doute pas qu’il aura le dos de Brassens pour horizon pendant plus de trente ans. Coïncidence notoire, il est né à l’endroit même où loge Brassens, impasse Florimont. Il y vécut jusqu’à ses neuf ans, puis épousa la contrebasse un peu plus tard, après s’être enjuponné avec le violon. Né le 11 septembre 1921, Pierre Nicolas

poussera l’accompagnement outre-tombe, avec la célébration des centenaires de deux fidèles musiciens, à quelques jours d’intervalle.
L’enregistrement du Gorille et du Mauvais sujet repenti au studio de la salle Pleyel fit tressaillir les techniciens plus habitués au swing de Claude Luter et Sidney Bechet qu’aux dandinements d’un gorille devant un juge. Neuf autres chansons sortiront sur disques 78 tours, dont Le parapluie qui sera distingué par l’Académie Charles-Cros l’année suivante en obtenant le Grand Prix du disque 1954.
Le 6 avril 1952, Brassens fait son premier plateau télévisé à la RTF, la chaine de télévision nationale née trois ans auparavant. Les quelques 40 000 moniteurs à tube cathodique déployés en France cette année-là (soit moins de 1% des ménages) diffusent leur premier anarchiste dans des salons bourgeois terrorisés. Il » haranguera » par la suite sa Mauvaise Réputation devant le public de l’Alhambra. Puis il fait sa première tournée en France, en Suisse et en Belgique, avec Patachou et Les Frères Jacques.
À la veille de Noël de cette année fatidique 1952, neuf chansons sont gravées pour l’album Patachou chante Brassens : La prière, Les amoureux des bancs publics, Brave Margot, J’ai rendez-vous avec vous, Maman papa (interprétée en duo avec Brassens), La chasse aux papillons, Le bricoleur (en exclusivité), Les croquants et La légende de la nonne de Victor Hugo. Les scènes voient leurs rampes faire feu de tout bois pour le troubadour qui désormais alterne les cabarets avec les tours de chant entre Bobino, l’Olympia et l’étranger.
Une question demeure avant de clore les années Patachou: Fâché de n’avoir pu la baptiser d’un sobriquet de son cru, Brassens l’appelait-il dans l’intimité par son prénom Henriette, ou plus court, par une Riette dûment gazouillée ? La réponse appartient aux »esgourdes » accolées aux murs. On serait tenté de souscrire au diminutif manceau pour deux raisons. D’une part, avant lui, Rabelais faisait l’éloge de »la riette » qu’il nommait la » brune confiture de cochon ». D’autre part, chez les Brassens, les charcuteries tenaient la dragée haute aux pâtisseries. Lesquelles n’avaient pas vraiment cours dans l’impasse.
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Sète : la ville de cœur de Georges Brassens lui rend hommage pour son 100e anniversaire…
Quelques chansons :
Bien que ces vaches de bourgeois (bis)
Les appell’nt des filles de joi’ (bis)
C’est pas tous les jours qu’ell’s rigolent,
Parole, parole,
C’est pas tous les jours qu’ell’s rigolent.
Car, même avec des pieds de grue, (bis)
Fair’ les cent pas le long des rues (bis)
C’est fatiguant pour les guibolles,
Parole, parole,
C’est fatiguant pour les guibolles.
Non seulement ell’s ont des cors, (bis)
Des œils-de-perdrix, mais encor (bis)
C’est fou ce qu’ell’s usent de grolles,
Parole, parole,
C’est fou ce qu’ell’s usent de grolles.
Y’a des clients, y’a des salauds (bis)
Qui se trempent jamais dans l’eau. (bis)
Faut pourtant qu’elles les cajolent,
Parole, parole,
Faut pourtant qu’elles les cajolent.
Qu’ell’s leur fassent la courte échell’ (bis)
Pour monter au septième ciel. (bis)
Les sous, croyez pas qu’ell’s les volent,
Parole, parole,
Les sous, croyez pas qu’ell’s les volent.
Ell’s sont méprisé’s du public, (bis)
Ell’s sont bousculé’s par les flics, (bis)
Et menacé’s de la vérole,
Parole, parole,
Et menacé’s de la vérole
Bien qu’tout’ la vie ell’s fass’nt l’amour, (bis)
Qu’ell’s se marient vingt fois par jour, (bis)
La noce n’est jamais pour leur fiole,
Parole, parole,
La noce n’est jamais pour leur fiole.
Fils de pécore et de minus, (bis)
Ris pas de la pauvre Vénus, (bis)
La pauvre vieille casserole,
Parole, parole,
La pauvre vieille casserole.
Il s’en fallait de peu, mon cher, (bis)
Que cett’ putain ne fût ta mère, (bis)
Cette putain dont tu rigoles,
Parole, parole,
Cette putain dont tu rigoles.
Le vin:
Avant de chanter
Ma vie, de fair’ des
Harangues
Dans ma gueul’ de bois
J’ai tourné sept fois
Ma langue
J’suis issu de gens
Qui étaient pas du gen-
-re sobre
On conte que j’eus
La tétée au jus
D’octobre…
Mes parents ont dû
M’trouver au pied d’u-
-ne souche
Et non dans un chou
Comm’ ces gens plus ou
Moins louches
En guise de sang
(O noblesse sans
Pareille ! )
Il coule en mon cœur
La chaude liqueur
D’la treille…
Quand on est un sa-
-ge, et qu’on a du sa-
-voir-boire
On se garde à vue
En cas de soif, u-
-ne poire
Une poire ou deux
Mais en forme de
Bonbonne
Au ventre replet
Rempli du bon lait
D’l’automne…
Jadis, aux Enfers
Cert’s, il a souffert
Tantale
Quand l’eau refusa
D’arroser ses a-
-mygdales
Etre assoiffé d’eau
C’est triste, mais faut
Bien dire
Que, l’être de vin
C’est encore vingt
Fois pire…
Hélas ! Il ne pleut
Jamais du gros bleu
Qui tache
Qu’ell’s donnent du vin
J’irai traire enfin
Les vaches
Que vienne le temps
Du vin coulant dans
La Seine !
Les gens, par milliers
Courront y noyer
Leur peine…
La cane
De Jeanne
Est morte au gui l’an neuf
Elle avait fait la veille
Merveille
Un oeuf
La cane
De Jeanne
Est morte d’avoir fait
Du moins on le présume
Un rhume
Mauvais
La cane
De Jeanne
Est morte sur son oeuf
Et dans son beau costume
De plumes
Tout neuf
La cane
De Jeanne
Ne laissant pas de veuf
C’est nous autres qui eûmes
Les plumes
Et œuf
Tous toutes
Sans doute
Garderons longtemps le
Souvenir de la cane
De Jeanne
Morbleu
Le gorille :
C’est à travers de larges grilles,
Que les femelles du canton,
Contemplaient un puissant gorille,
Sans souci du qu’en-dira-t-on ;
Avec impudeur, ces commères
Lorgnaient même un endroit précis
Que, rigoureusement, ma mère
M’a défendu d’nommer ici.
Gare au gorille !...
Tout à coup la prison bien close
Où vivait le bel animal
S’ouvre, on n’sait pourquoi (je suppose
Qu’on avait dû la fermer mal) ;
Le singe, en sortant de sa cage,
Dit : « C’est aujourd’hui que j’le perds ! »
Il parlait de son pucelage,
Vous aviez deviné, j’espère !
Gare au gorille !…
L’patron de la ménagerie
Criait, éperdu : « Nom de nom !
C’est assommant, car le gorille
N’a jamais connu de guenon ! »
Dès que la féminine engeance
Sut que le singe était puceau,
Au lieu de profiter de la chance,
Elle fit feu des deux fuseaux !
Gare au gorille !…
Celles-là même qui, naguère,
Le couvaient d’un œil décidé,
Fuirent, prouvant qu’ell’s n’avaient guère
De la suite dans les idé’s ;
D’autant plus vaine était leur crainte,
Que le gorille est un luron
Supérieur à l’homm’ dans l’étreinte,
Bien des femmes vous le diront !
Gare au gorille !...
Tout le monde se précipite
Hors d’atteinte du singe en rut,
Sauf une vieille décrépite
Et un jeune juge en bois brut.
Voyant que toutes se dérobent,
Le quadrumane accéléra
Son dandinement vers les robes
De la vieille et du magistrat !
Gare au gorille !…
« Bah! Soupirait la centenaire,
Qu’on pût encor me désirer,
Ce serait extraordinaire,
Et, pour tout dire, inespéré ! » ;
Le juge pensait, impassible :
« Qu’on me prenn’ pour une guenon,
C’est complètement impossible… »
La suite lui prouva que non !
Gare au gorille !…
Supposez que l’un de vous puisse être,
Comme le singe, obligé de
Violer un juge ou une ancêtre,
Lequel choisirait-il des deux ?
Qu’une alternative pareille,
Un de ces quatre jours, m’échoie,
C’est, j’en suis convaincu, la vieille
Qui sera l’objet de mon choix !
Gare au gorille !…
Mais, par malheur, si le gorille
Aux jeux de l’amour vaut son prix,
On sait qu’en revanche il ne brille
Ni par le goût ni par l’esprit.
Lors, au lieu d’opter pour la vieille,
Comme l’aurait fait n’importe qui,
Il saisit le juge à l’oreille
Et l’entraîna dans un maquis !
Gare au gorille !…
La suite serait délectable,
Malheureusement, je ne peux
Pas la dire, et c’est regrettable,
Ça nous aurait fait rire un peu ;
Car le juge, au moment suprême,
Criait : « Maman ! », pleurait beaucoup,
Comme l’homme auquel, le jour même,
Il avait fait trancher le cou.