
Boris Vian, chacun d’entre vous, pour ceux qui le connaissent, a le sien… Pour les uns il fut un jazzman incomparable qui se produisait avec sa « trompinette » au Tabou, une cave à la mode dans les années cinquante. Pour d’autres, il fut l’antimilitariste du « déserteur » interprété par Mouloudji. Pour d’autres encore, il fut, par ses textes, le roi de l’absurde ou encore le chantre de la dérision.
Il reste de la place ? Parce qu’en fait, il fut encore plein de choses… Ecrivain dramaturge, scénariste, peintre, chanteur et critique de jazz. Il fréquenta Sartre, Camus, Genet, Greco, de Beauvoir, et fut même Satrape au collège de pataphysique créé par Alfred Jarry. C’est quoi ça?… Patience
Boris Vian adore les mots, il les fait sien, les malaxe, les détourne et leur rend honneur. Son écriture est d’abord une fête continuelle de ces derniers qui produisent instantanément des images à celui ou celle qui les écoute. Colorés, ces mots prendront parfois la couleur de l’amertume derrière l’humour lorsqu’il se mettra en devoir de dénoncer une société qui, par ses codes et ses raideurs, a décidé de tourner le dos au bonheur. Il utilisera sa plume pour dénoncer l’aliénation du travail (Traité de Civisme) et l’armée (« Le gouter des généraux », « Les trois frères », « Le déserteur »)
« Vous gagnerez votre pain à la sueur de votre front. Si je ne m’abuse, c’est une malédiction et pas une promesse de plaisanterie »
« … Il y avait pour chacun d’entre eux un bon mètre de terre et une petite croix »
« Pour faire un militaire, il faut défaire un civil »
Mais commençons par resituer le bonhomme. Il est né en 1920 à Ville d’Avray dans une famille plutôt à l’aise jusqu’à ce que la vie fasse son boulot de vie, son père fut ruiné par le krach de 1929 et devint représentant. Quant à lui, il apprend qu’il est atteint d’une maladie de cœur, inguérissable à l’époque, maladie qu’il transposera dans L’écume des jours sous la forme d’un nénuphar qui pousse dans le corps de la compagne de son personnage principal, Chloé…
Mais je grille encore les étapes… Ingénieur à l’AFNOR, il écrit son premier bouquin en 1942 « Troubles dans les Andins », un polar cocasse où les mots sont le ressort même de l’histoire qui, en elle même, n’a pas grand intérêt, mais qui laisse imaginer ce que sera l’écriture de Vian. Première histoire d’amour avec le baroque, l’absurde. Vian lisait, maintenant il écrira’.
Pourtant de son vivant, ses textes resteront en retrait, comme éclipsés par leur auteur qui trainera pendant des années une réputation de potache et d’anticonformiste. Il souffrira toute sa vie de ne pas être reconnu pour son œuvre littéraire. Cet homme qui a couru durant son existence devant sa mort qu’il savait proche, semblait vouloir toucher à tout et brulait de tout connaître.
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s’amène
Avec sa gueule moche
Et qui m’ouvre ses bras de grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur, non madame,
avant d’avoir tâté le goût qui me tourmente
Le goût qu’est le plus fort,
Je voudrais pas crever
avant gouté la saveur de la mort
(Je voudrais pas crever)
La guerre…
Pendant cette période, Vian, s’il ne se mêle pas aux Zazous, partage avec eux le goût pour la littérature et le swing. Il vit l’Occupation dans une bulle faite de musique, ce qui lui sera reproché maintes fois.
La cheville entravée, l’épaule retombante
Le cheveu Hérissé, l’œil bleu, l’air idiot
Le zazou se redresse et son crâne grelot
Flamboie, tempes serrées par la gomme adragante
(Le zazou)
Au sortir de cette période, en 1946, il couche sur le papier le bouquin qui lui occasionnera une plainte de Daniel Parker, secrétaire du cartel d’action morale et sociale, eh oui ça existe déjà. « J’irais cracher sur vos tombes » vaut à l’écrivain une plainte pour immoralité et atteinte aux bonnes mœurs. Ce roman, qui fera l’objet d’un film, est signé Vernon Sullivan et traite du racisme dans la société américaine. Boris n’en est officiellement que le traducteur jusqu’en 1949 où il avoue l’avoir écrit. Il publiera trois autres titres sous le même nom.
Il écrira un an plus tard « L’écume des jours » et émettra le souhait de gagner le prix de la Pléiade aux éditions Gallimard, qui sera donné finalement à un ecclésiastique, pour des raisons politiques, malgré le soutien de Queneau et de Sartre. Il réglera ses comptes avec le directeur de Gallimard et ce qu’il juge être une injustice dans son roman suivant « Un automne à Pékin ». Les titres sortent ensuite à une cadence importante pendant près de cinq années sans obtenir de succès. En 1953, après le refus de l’arrache cœur par Gallimard, il renonce à la littérature.
L’auto s’était arrêtée devant un hôtel au bord de la route. C’était la bonne route, lisse, moirée de reflets photogéniques, avec des arbres parfaitement cylindriques des deux côtés, de l’herbe fraîche, du soleil, des vaches dans les champs, des barrières vermoulues…/…/… et un garçon roux ébouriffé qui conduisait deux moutons et un chien ivre …
(l’écume des jours)
Il se tourne alors de nouveau vers la musique et le Jazz .
En 1952, il intègre le collège de Pataphysique, il rejoint ainsi Dubuffet, René Clair, Eugène Ionesco, Marcel Duchamp, Miro, Max Ernst. En 1954 Boris dépose ses textes de chansons à la SACEM.
Côté musique.
Le disque « Le déserteur » chanté par Mouloudji sera finalement interdit et on n’en mettra plus sous presse pendant la guerre d’Algérie, une censure douce mais efficace. En 1955 après que ses chansons furent chantées par d’autres, il décide de les interpréter soutenu par Léo Ferré et Georges Brassens. Il crée avec Michel Legrand qui revient des Etats-Unis et Henry Salvador le premier disque de Rock n’roll français « Rock n’Roll Mops », les paroles seront signées Vernon Sinclair. Pendant les années qui suivent, Boris créera un opéra « le chevalier des neiges », il s’occupera du catalogue de Jazz pour les disques Philips et s’attellera à un livre sur le monde de la chanson. Malgré les préconisations de son médecin, il continue à multiplier piges, traductions, écriture de chansons. En 1959, il meurt pendant la projection de la première de son livre « J’irais cracher sur vos tombes ». Il avait trente neuf ans… Il aura écrit onze romans, quatre recueils de poèmes, des pièces de théâtre, de nombreuses chroniques musicales, des dizaines de chansons.
La politique…
Boris ne commença à s’intéresser de façon constante à la politique qu’après l’âge de trente ans, il n’aura de cesse de rattraper son absence de cette scène pendant l’occupation… Il commencera à rédiger en 1950 « Le Traité de Civisme » qu’il ne finira jamais, ce livre s’éloigne des canulars dont il est friand pour devenir une œuvre intellectuelle.
Ah oui… La pataphysique?
Le docteur Faustrop dira que « c’est la science des solutions imaginaires » ou que « La pataphysique est à la métaphysique ce que la métaphysique est à la physique ». Bref c’est un lieu où l’on inventera la roue élastique ou la machine à couper tous les rayons sous un même angle… Vous n’avez pas compris mais ça éveille votre curiosité? Mieux, cela vous fait sourire? Vous êtes mûr pour intégrer le collège et lire Vian, Queneau et d’autres…